Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

La misère des CHSLD

Il y a un peu plus d’un an, le premier éditorial d’Avenues.ca, intitulé Donnons-leur un deuxième bain, portait sur le scandale des «bains au noir» dans les CHSLD. Treize mois plus tard, le ministre Barrette affirme réfléchir à l’organisation globale du service, notamment quant à l’organisation du travail. Enfin.



En attendant qu’il se jette à l’eau et divulgue ses conclusions et exigences, on peut se faire une idée de la situation générale en consultant le rapport de la Commission de la santé et des services sociaux sur les conditions de vie en CHSLD publié le mois dernier. Ce rapport est d’autant plus intéressant que les travaux ont été amorcés en 2013, donc longtemps avant que la question du bain hebdomadaire épouvante l’opinion publique.

Outre les nombreuses recommandations sur l’hygiène, ce rapport est révélateur sur plusieurs points. Dans certains CHSLD, les équipements sont insuffisants pour s’assurer que les repas arrivent chauds. De plus, le personnel n’est pas correctement formé pour les cas de démence, problème qui affecte une forte proportion de la clientèle. Il n’existe aucune norme quant au niveau minimum de personnel, mais le nombre de préposés aux bénéficiaires est jugé insuffisant, en plus d’être un métier mal reconnu, alors qu’ils sont, justement, le principal lien entre l’établissement et son client.

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La presse a récemment soulevé d’autres problèmes révélateurs quant à l’état de délabrement du système.

Récemment, l’Ordre professionnel des diététistes du Québec dévoilait qu’en CHSLD, le montant quotidien alloué aux aliments correspond à 6,51$ (soit 2,17$ par repas en moyenne). Depuis 1993, ce montant a même baissé de 38% par rapport à l’inflation. Or, le coût moyen des aliments par personne par jour dans une famille normale est de 8,50$.

L’Ontario, pour ses propres CHSLD, a établi le coût des aliments à 10$ par personne par jour. Pourquoi plus? Tout simplement parce qu’une personne malade ou vieille a besoin d’une alimentation plus riche et de meilleure qualité pour compenser la perte d’appétit — au Canada, 45% des personnes âgées souffrent de malnutrition.

En matière de nutrition, le critère du coût est la seule norme des CHSLD québécois — la seule. L’Ontario a établi des normes obligatoires de contrôle de la nutrition par un diététiste. Au Québec, 35% des CHSLD le font de leur propre initiative, ce qui en laisse 65% qui n’appliquent que le critère du coût — parce qu’il n’y a aucune autre norme de suivi.

Cette absence de norme impose une sorte une tyrannie du code postal: des citoyens qui ont payé honnêtement des impôts toute leur vie doivent se contenter de services et de nourriture médiocres en fin de vie parce que leur CHSLD est négligent et que le ministre laisse faire.

Le ministre doit appliquer des critères absolus de performance pour éliminer les irrégularités flagrantes entre les bons et les mauvais CHSLD. Il est foncièrement injuste que certains citoyens profitent de services de qualité alors que d’autres, qui vivent au mauvais endroit, doivent souffrir dans un CHSLD mal dirigé et géré sans états d’âme.

En attendant de savoir à quelle sauce le ministre Gaétan Barrette nous servira son rapport, il faut néanmoins admettre une réalité: la clientèle des CHSLD s’est «alourdie» depuis 20 ans. Alors qu’il s’agissait de personnes semi-autonomes, elle se compose très majoritairement de personnes en sévère perte d’autonomie. On y retrouve même 10% de «jeunes» (de moins de 65 ans), rendus invalides par des maladies chroniques.

Cette évolution n’est pas une surprise: elle avait déjà été constatée dans un précédent rapport remontant à 2003. Il s’agit évidemment d’une clientèle plus lourde — mais qui doit être prise en charge par les services publics de toute manière. Et ce, correctement.

Tout ceci soulève un certain nombre de questions à poser au ministre:

  1. Quand publierez-vous vos recommandations?
  2. Dans le surplus d’un milliard annoncé par le Trésor, y aura-t-il du budget pour remplacer les patates en poudre par de vraies patates?
  3. Sera-t-on en mesure de laver les gens quand ils le demandent?
  4. Instituerez-vous des normes pour l’hygiène et la nutrition?

Tout le monde n’a pas les moyens de finir ses jours dans un CHSLD de luxe, mais on ne peut pas considérer que 10$ par jour pour des aliments ou un deuxième bain hebdomadaire soient un luxe. C’est une bien maigre récompense pour des citoyens en fin de vie.

Espérons que le ministre Barrette aura l’étoffe de dire à son honorable collègue du Trésor qu’il est franchement inique de faire des économies de bouts de chandelles sur le dos de ceux qui sont incapables de s’en plaindre.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.