Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Pour le Réseau électrique métropolitain

Alors que le métro de Montréal célébrera ses 50 ans le 14 octobre 2016, les Québécois débattent ardemment du projet de Réseau électrique métropolitain (REM). Ce système de transport léger sur rail, d’une valeur de 5,5 milliards de dollars, reliera la Rive-Sud, le centre-ville, l’aéroport Pierre-Elliott Trudeau de même que Sainte-Anne-de-Bellevue et Deux-Montagnes, sur la Rive-Nord.



Il s’agit d’un projet ambitieux et futuriste, qu’il faut soutenir. Les Québécois n’avaient pas vu, pour Montréal, un projet aussi structurant depuis deux générations. Le REM, ce n’est rien de moins qu’une petite Baie-James à échelle urbaine! En soi, les travaux actuels sur l’échangeur Turcot et le nouveau pont Champlain sont nettement plus importants en valeur. Mais malgré leur gigantisme, il ne s’agit en fait que de simple remplacement de structures existantes. Rien à voir avec le REM, que personne n’imaginait même il y a deux ans!

Le REM a suscité l’enthousiasme dès son annonce initiale en 2015: un réseau entièrement automatisé, le 3e au monde par la taille, reliera 24 stations sur 67 km, à haute fréquence. Ce projet, qui amorce un redéploiement de grande ampleur des transports en commun pour toute la région métropolitaine, renforcera également le centre-ville de Montréal, qui en a bien besoin — il permettra entre autres d’atteindre l’aéroport en 20 minutes depuis le centre-ville.

Le maître d’œuvre du projet, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), avait reçu du gouvernement le mandat de concevoir deux projets distincts : celui d’un train léger vers la Rive-Sud et celui du lien ferroviaire vers l’aéroport, réclamé depuis plus de 50 ans.

La CDPQ a surpris tout le monde en trouvant une solution technique qui unifie les deux projets en un seul réseau, utilisant une seule technologie, et qui fera bon usage d’une infrastructure extraordinaire, mais sous-utilisée, le tunnel sous le mont Royal. Même l’ancien chef de l’opposition au conseil municipal Richard Bergeron, qui avait travaillé sur le dossier du transport en commun pendant six ans, a admis que personne avant la Caisse n’avait envisagé cette solution!

Comme tous les projets originaux et structurants de cette dimension, le REM suscite quelques anxiétés légitimes, car il reste encore bien des données inconnues. L’échéancier est extrêmement serré: la construction doit débuter au printemps prochain, pour livraison en 2020. Si, et seulement si, la Caisse réussit à boucler le financement public!

Pour ce projet de 5,5 milliards de dollars, la Caisse aura besoin d’un financement de 2,5 milliards de dollars du fédéral et du provincial, mais également d’environ 400 millions des municipalités — hormis les accès routiers et piétonniers qui devront être reconfigurés. Alors que la Caisse s’apprête à lancer les appels d’offres, les paliers de gouvernement concernés n’ont plus que quelques mois pour se brancher, alors qu’ils ignorent encore exactement ce qu’ils achètent et à quel prix.

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La Caisse a-t-elle mis la charrue devant les bœufs en annonçant ses couleurs trop tôt sans avoir attaché tous les fils? C’est mal comprendre le climat d’immobilisme qui caractérise les transports en commun de la métropole depuis 20 ans. En tant que promoteur, la Caisse avait besoin de donner un électrochoc et de bousculer tout le monde pour susciter le mouvement. Si les politiciens restent tétanisés, ils auront au moins compris le message: si la Caisse n’atteint pas ses objectifs de financement, elle n’aura aucun remords à «tirer la plogue».

De toutes les plaintes que l’on entend concernant le REM, la plus justifiée est celle venant de l’est de Montréal, plus particulièrement le nord-est, qui aurait normalement dû être desservi par la ligne bleue du métro jusqu’à Anjou, selon les plans originaux.

Mais il est injuste de prétendre que c’est la Caisse qui a «oublié» l’est. Son mandat, donné par le gouvernement, était de trouver la solution à deux problèmes qui concernaient l’ouest: le lien de la Rive-Sud sur le nouveau pont Champlain et le lien vers l’aéroport. Il n’y a pas de complot: il y a seulement de la géographie. Néanmoins, le projet de REM a déjà évolué puisque la Caisse a déjà amendé son projet pour établir trois interconnexions plutôt qu’une avec le métro, ce qui favorisera la desserte de toutes les clientèles venant de l’est.

Si la Caisse a commis une faute, c’est d’avoir imaginé un projet franchement excitant auquel personne n’avait pensé, qui est nettement meilleur que la fameuse ligne de Mascouche, appelée également «Train de l’est» — qui dessert cahin-caha l’est de l’île — et que tout le monde voudrait avoir dans sa cour – tout le contraire du syndrome «Pas dans ma cour»!

Le projet REM doit réussir parce qu’il pourrait donner un nouveau souffle aux transports en commun à Montréal. Le REM force déjà la réorganisation tarifaire pour l’ensemble des réseaux de la métropole, accablés par plus de 700 tarifications différentes! Souhaitons que l’extension de la ligne bleue vers Anjou fasse partie de cet élan!

Au plan politique, le REM suscite un certain inconfort parce qu’il met en relief de façon criante l’absence d’une gouvernance efficace. L’attentisme du ministère des Transports du Québec en matière de transport en commun est proprement scandaleux. Le REM s’élabore dans un vide quasi complet. L’Agence métropolitaine de transports (AMT) implose et la future Autorité régionale des Transports métropolitaine (ARTM), censée lui succéder, n’existe pas encore. Par-dessus le marché, la Caisse n’aura pas voix au chapitre de cette nouvelle ARTM! Dans cette situation, la Caisse a eu raison de bousculer tout le monde: c’était le seul antidote à la sclérose institutionnelle!

Il y a plusieurs raisons de croire que ce REM ne sera pas un nouveau Stade olympique. La Caisse, qui investira plus de 3 milliards de dollars dans ce projet, tient à ce que ça marche parce qu’elle veut se lancer dans le business des infrastructures en installations nouvelles qu’elle conçoit, finance, construit et exploite. Il faudra que le REM soit un joyau de son propre bilan. Le président Obama a même rencontré le PDG de la Caisse, Michael Sabia, pour discuter de ce nouveau modèle qui suscite beaucoup d’intérêt. Parmi l’équipe dirigeante de la nouvelle filiale CDPQ Infra, on compte plusieurs pointures, comme Jean-Marc Arbaud, qui a dirigé un projet précurseur, la Canada Line de Vancouver, de 2005 à 2011.

La Caisse est également sérieuse quand elle promet que le prix demeurera raisonnable, c’est-à-dire identique à ce qu’il en coûte actuellement pour parcourir la même distance en transport en commun. Pour la Caisse, la valeur de cette infrastructure dépendra beaucoup de sa fréquentation, laquelle dépend du prix.

Il y a même quelques raisons de croire, à l’instar de Richard Bergeron, que les prédictions d’achalandage de la CDPQ sont peut-être conservatrices. La fréquentation et la densité d’utilisation du réseau montréalais sont déjà parmi les plus importantes sur le continent nord-américain. Peu de gens le savent, mais sur l’ensemble du continent, le réseau montréalais se classe au troisième rang pour la longueur, la fréquentation, l’achalandage et le nombre d’embarquements par kilomètre. Montréal se classe loin derrière New York et Mexico, mais nettement devant Toronto, Washington et Chicago.

Il y a donc bien des raisons de croire que le REM correspondra exactement aux attentes, d’autant plus qu’il vient renforcer le réseau et étoffer l’offre dans des secteurs mal desservis. Il appartient désormais aux villes, à Québec et à Ottawa de s’ajuster pour le rendre possible. La balle est dans leur camp.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.