Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Recyclage: le cul-de-sac

Faudra-t-il faire la grève de l’environnement pour que nos gouvernements se décident à légiférer et à imposer des solutions qui rendront le recyclage possible et la réduction des gaz à effet de serre effective?



Bien des gens ont été surpris et scandalisés d’apprendre que toute la filière québécoise du recyclage est menacée par la décision de la Chine de ne plus importer les rebuts de récupération québécois, mettant en danger toute la filière québécoise.

Il est franchement indécent de songer que le Québec est incapable de recycler lui-même ce que l’on récupère et qu’il faut l’expédier aux antipodes. Le plus drôle de l’histoire est que la filière québécoise est mise en danger parce que les Chinois ont tout simplement décidé de se mettre à la récupération eux-mêmes.

Derrière le problème chinois de nos recycleurs, il y a une bonne nouvelle et une mauvaise. La bonne, c’est que le Québec est un peu victime de son succès: nous récupérons tellement de rebuts domestiques, à hauteur d’un million de tonnes par an, qu’il est impossible de tout recycler localement. Les Ontariens ont exactement le même problème. Si bien que plus de la moitié du papier, qui représente 87% des volumes, doit trouver un débouché ailleurs.

Photo: Deposit photos
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La mauvaise nouvelle, c’est qu’il soit encore si difficile de recycler localement. Après 30 ans de récupération en masse, on cherche encore une filière viable pour le papier et le verre. Récupérer un million de tonnes, c’est beaucoup plus simple que de les recycler.

Une solution serait d’investir dans la technologie et la main-d’œuvre pour faire un tri encore plus sélectif. En réduisant les contaminants dans le papier ou le verre, les produits à recycler seraient plus demandés. Ça, c’est pour la théorie. En pratique, il n’est pas certain que les industriels québécois — et en fin de compte, les consommateurs — voudront de produits recyclés.

Pour le papier, les deux filières de recyclage les plus évidentes sont le papier et l’énergie. Mais le Québec produit un papier d’une qualité telle que personne ne veut d’un papier de moins bonne qualité à base de fibre recyclée.

Il en va de même pour l’énergie. Les recycleurs européens de papier l’ont relativement facile puisque l’énergie y est si chère qu’une large part du papier récupéré bas de gamme finit à l’incinérateur où il fait tourner des turbines. Dans une province qui produit l’énergie renouvelable la moins chère au monde, le papier recyclé perd son débouché le plus évident.

Photo: Depositphotos
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Au-delà du recyclage

Cette problématique du recyclage montre à quel point tout ce qui touche l’environnement est immensément complexe, mêlant la technique, la finance, les politiques et la psychologie de masse. Et encore, créer une filière de récupération/recyclage est un problème simple comparé au grand enjeu mondial du réchauffement climatique.

A-t-on encore besoin, de nos jours, d’expliquer la situation du réchauffement climatique induit par l’activité humaine, en particulier les gaz à effet de serre?

Devant les cafouillages du recyclage, il ne faut pas s’étonner si la lutte contre le réchauffement climatique ne va nulle part. Le Canada était un signataire enthousiaste de l’Accord de Paris en 2015, pour lequel le Québec était littéralement tout feu tout flamme. Sauf que depuis deux ans, rien. Et tout indique qu’on n’atteindra même pas les cibles du gouvernement Harper.

Que se passe-t-il? Ou plus exactement: comment se fait-il qu’il ne se passe rien?

Les ventes de VUS continuent de grimper. On continue de voir la ville s’étaler de plus en plus. Les sacs et les bouteilles de plastique vont chaque jour nourrir le gigantesque Blob qui flotte au milieu du Pacifique. Les piliers mêmes de la vie sur terre — les insectes et le plancton — en arrachent. Et pendant ce temps, on demande au citoyen de faire des efforts pour empiler son petit compost dans des sacs, pour recycler du verre et du papier qu’on finit par jeter ou envoyer en Chine tant que les Chinois en prennent.

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Que faut-il faire pour que les gouvernements se décident à décider? Lancer la grève environnementale? Peut-être faudrait-il, massivement, abandonner toute précaution. Tout le monde jette tout aux poubelles, on surchauffe nos maisons, on laisse les moteurs tourner une heure pendant qu’on magasine, on prend trois sacs là où un seul suffirait et on laisse le gouvernement s’arranger. Ce serait bien évidemment un comportement suicidaire, puisque le gouvernement, c’est nous. Mais que faire devant la catatonie absolue des décideurs?

La situation est telle que même l’industrie pétrolière réclame que le gouvernement agisse. C’est dire s’il ne se passe rien. Car on a bien raison d’affirmer que le gouvernement ne fait rien. Considérez seulement la filière du recyclage du verre. Depuis deux ans, au Québec, les taux de recyclage ont baissé de 60% parce que les industriels ne veulent plus du mauvais verre recyclé chargé d’impuretés. Mais le gouvernement n’est même pas capable de légiférer pour que son propre monopole d’État fasse une consignation sur ses propres bouteilles. Si bien que les deux tiers du verre que l’on récupère finissent sous forme de sable sur les routes ou dans les sites d’enfouissement.

Si le gouvernement était sérieux en matière d’environnement, il prendrait des mesures, qui sont déjà connues: normes de fabrication, exigences de recyclage, restrictions à la consommation. Pendant ce temps, nous nous rapprochons dangereusement de bouleversements irréversibles — quand la fonte des glaces aura complètement déséquilibré le Gulf Stream, ramené l’Europe de l’Ouest à l’âge glaciaire, désertifié le centre du continent américain et que l’on combattra la malaria dans les Cantons de l’Est.

On pourra toujours se consoler en sirotant un bon petit vin de Chibougamau…

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.