Livres de la semaine
160 rue Saint-Viateur Ouest de Magali Sauves
Nous avons invité Richard Migneault, passionné de polars et auteur du blogue Polar noir et blanc, à signer cette chronique sur le dernier roman de Magali Sauves.
«[…] l’oubli a la mémoire longue.»
- Magali Sauves
160 rue Saint-Viateur Ouest est le troisième roman de Magali Sauves. Cette écrivaine à la croisée de plusieurs cultures continue avec talent de nous dépeindre un quartier de Montréal habité par des citoyens d’un groupe religieux assez déconcertant, du moins pour les non-initiés, les juifs hassidiques.
Sautons tout de suite dans cette histoire qui nous plongera dans ce monde intriguant, où un meurtre vient réveiller des souvenirs, qui selon certains, gagneraient à rester enfouis au tréfonds de l’esprit humain.
Mathis Blaustein est né dans une famille juive hassidique ultra-orthodoxe. Il reste marqué par une enfance enveloppée dans un obscurantisme religieux contraignant. Lieutenant au Service des enquêtes sur les crimes contre la personne, il a depuis longtemps renié les croyances de ses parents. Très jeune, il a été ostracisé par sa famille: Mathis est homosexuel et vit en couple avec un jeune professeur de français. Un fait inadmissible pour une famille juive hassidique.
Mathis se rend dans un laboratoire où on a découvert le cadavre d’un chercheur dont le corps est couvert de pustules écœurantes. Tout le monde pense à une contamination ciblée par les biopesticides sur lesquels il travaillait. Le lieutenant Blaustein doute et ne rejette aucune hypothèse, pas même celle du meurtre!
Cette enquête deviendra le nœud central du roman. Cependant, elle soulèvera quelques interrogations bien occultées sous une couverture d’opacité dense. Un piano cloué dans un mur, des lettres d’amour cachées depuis la guerre, un héritage nébuleux, l’imagination de l’auteure est sans limites, mais toujours crédible.
L’écrivaine nous déménage d’un endroit à l’autre, d’une étude de notaire dans Berlin jusqu’à un commerce d’extermination en passant par une usine kasher d’abattage de poulets. Mais le voyage le plus fascinant, Magali Sauves nous le présente dans cette longue marche entre le 158 B et le 160 rue Saint-Viateur Ouest. Voyage avec une escale parmi les horreurs subies par les juifs dans les camps de concentration.
Que ses personnages pensent en yiddish, en hébreu, en anglais ou en français, Magali Sauves écrit dans un style efficace, nuancé et parfaitement adapté à la culture et à l’histoire des personnes qui habitent ce quartier du Mile-End. Montréalais d’origine, je découvre quand même un quartier enclavé, vivant et parfois peu accueillant. Et c’est ce qui caractérise ce roman. Comme lecteurs, nous sommes happés par une enquête à voies multiples, mais, et surtout, nous sommes plongés dans une culture intrigante; une culture véhiculée par des personnages bien campés, crédibles, et parfois attachants.
Magali Sauves est née en France d’une mère juive tunisienne et d’un père catholique français. Son écriture est québécoise, imprégnée d’un esprit tout à fait montréalais. Certains passages sont marqués par un humour juif à la Shalom Auslander, et quand on s’y attend le moins, elle nous surprend avec un sens grinçant de la dérision. Sans oublier ses réflexions poignantes sur le drame affreux du peuple juif pendant la Seconde Guerre mondiale.
«Tout le monde fait semblant de s’intéresser aux Hassidim; même les Hassidim.»
Alors, assoyons-nous sur la marche du perron du 158 B Saint-Viateur Ouest et profitons du moment. Tous ces ingrédients nous donnent des moments de plaisirs littéraires et des pages savoureuses aux odeurs de bagels Saint-Viateur et à la volupté du chocolat de Geneviève Grandbois.
Vous ai-je ouvert l’appétit?
Bonne lecture!
Arrivée au Québec en 2003, Magali Sauves a travaillé à Montréal dans des établissements scolaires privés, tout en publiant deux romans, Bleu azreq (2011, éditions Sémaphore) et Yiosh! (2014, Septentrion). Passionnée par la transmission de la culture, elle a poursuivi ses études et obtenu une maîtrise en éducation, puis entrepris un doctorat en didactique de la lecture.