Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Changement climatique: y a-t-il un pilote dans l’avion?

Depuis une semaine, une série de nouvelles sur le front environnemental nous amène à penser qu’il n’y a pas de pilote dans l’avion. ET si pilote il y a, celui-ci n’a pas de plan de vol et ne sait même pas où il va.



Au terme d’un été de records de chaleur partout dans l’hémisphère nord, on a vu Nicolas Hulot, le ministre français de l’Environnement, remettre sa démission de façon fracassante en direct sur les ondes de France Inter. Le geste a connu un retentissement international, car le personnage est un écologiste de renom que trois présidents (Chirac, Sarkozy et Hollande) avaient tenté de recruter avant que Macron le convainque, il y a 16 mois.

Cela s’est passé la même semaine où l’Alberta sortait de la taxe carbone de Justin Trudeau et s’alliait à la Saskatchewan et à l’Ontario contre elle. Dans Le Monde, 200 personnalités, dont Diane Dufresne, ont fait une sortie pour alerter l’opinion publique sur le cataclysme environnemental qui se prépare. Et pendant ce temps, dans la campagne électorale québécoise, on ne signale aucune idée nouvelle qui changerait quoi que ce soit sur la question.

Devant cette accumulation de faits et d’autres encore, il ressort une confusion quasi absolue. Le citoyen est ballotté entre divers discours extrêmes: catastrophiste (les carottes sont cuites), victimaire (c’est votre faute), négationniste (on vous ment) et fleur bleue (recyclons nos contenants de yaourt). L’effet en est une espèce de paralysie totale — presque catatonique — qui frappe les citoyens, les gouvernements et tous les corps intermédiaires.

Photo: NASA, Unsplash
Devant l'accumulation de faits sur le changement climatique, il ressort une confusion quasi absolue. Photo: NASA, Unsplash

Faire quelque chose, mais quoi?

Personne ne semble savoir que faire, d’autant plus que les mesures mises en place sont, au mieux, insuffisantes. Recycler son papier ou opter pour l’auto électrique, c’est gentil, mais c’est tout. Pendant ce temps, nos gouvernements font des choix contradictoires que personne n’assume. Au Québec, le gouvernement annonce une politique énergétique ambitieuse… et la multiplication des autoroutes. Justin Trudeau signe les Accords de Paris, mais achète un pipeline dans le but d’en construire un second afin d’augmenter la production de pétrole lourd albertain. Sans oublier tous ces ministères de l’Environnement qui n’ont pas le personnel pour faire respecter leurs propres politiques — et que leur gouvernement ignore splendidement.

Au bout du compte, ce qui choque et qui explique l’espèce d’apathie généralisée, c’est l’absence de plan. Certes, il existe des listes d’épicerie. Hulot a justifié sa démission par le fait que la France n’avait commencé à réduire ni les GES, ni l’utilisation des pesticides, ni l’érosion de la biodiversité. Où était le plan?

Photo: pixabay
Au bout du compte, ce qui choque et qui explique l’espèce d’apathie généralisée, c’est l’absence de plan. Photo: pixabay

Le plan Hawken

Or, un plan existe, justement, et depuis peu. C’est toute l’originalité de la démarche de l’environnementaliste américain Paul Hawken, qui a dirigé l’équipe de chercheurs derrière le livre Drawdown, comment inverser le cours du réchauffement planétaire (Actes Sud). Le sous-titre en anglais est d’ailleurs plus éloquent: The most comprehensive plan ever proposed to reverse global warming (Le plan le plus complet jamais proposé pour renverser le réchauffement climatique). Comme Hawken le dit lui-même à la blague, c’est le plan «le plus complet» parce que c’est le premier.

Le mot clé est ici: drawdown, au sens de prélèvement ou d’inflexion. Selon lui, il est non seulement possible de ralentir le réchauffement climatique, mais de l’infléchir, c’est-à-dire de renverser la tendance d’ici 30 ans à travers une centaine de mesures. L’équipe de 200 chercheurs qu’il a réunie s’est basée sur des données probantes (démontrées scientifiquement) pour évaluer 300 mesures connues. Ils en ont identifié 100, dont 76 ont un effet mesurable. À sa grande surprise, les plus efficaces relèvent du gros bon sens, dont un bon nombre peuvent être mises en pratique sans attendre les gouvernements — quoique leur effet maximal viendra quand les États agiront en ce sens.

Les six premières mesures, tirées de la liste des solutions proposées, touchent autant l’ingénieur que le citoyen lambda qui fait sa popote le soir ou l’éducateur. La première est simplissime: gestion des gaz réfrigérants (chaque molécule de HFC des frigos et des climatiseurs produit un effet climatique 1 000 à 9 000 fois plus grand qu’une molécule de CO2). La deuxième: développement de l’énergie éolienne. La troisième: réduction du gaspillage alimentaire. Quatrième mesure: une alimentation riche en apports végétaux (sans tomber dans le végétarisme). Cinquième mesure: restauration des forêts tropicales. Et sixième: éducation des femmes. Et ainsi de suite jusqu’à la 76e mesure: les microéoliennes. Quant aux 24 autres mesures sur la liste, les scientifiques sont certains qu’elles auront un effet, mais on ne sait pas encore le quantifier.

Photo: David Peters, Unsplash
Une des mesures proposées par Hawken est la restauration des forêts tropicales. Photo: David Peters, Unsplash

Des mesures étonnantes

Sur le coup, on croit lire une blague. Un régime riche en légumes? Réduire le gaspillage alimentaire? L’éducation des jeunes filles dans les pays en développement? Et pourtant: chaque mesure a été évaluée selon son impact en gigatonnes de CO2, et, quand c’est possible, pour son coût et l’économie qu’elle représente en milliards de dollars US. Et les six premières produisent presque la moitié des gains (entre 60 et 90 gigatonnes de réduction en équivalent-CO2, chacune). Mieux: si on combine la sixième mesure (éducation des femmes) et la septième (planning familial), l’effet est alors supérieur à la gestion des gaz réfrigérants.

Surprise: les mesures à la mode (électrification des transports, éclairage DEL, recyclage du papier) produisent des résultats nettement moindres. Mais selon Hawken, il n’y a pas de petite mesure, en réalité. Car toutes s’additionnent et sont nécessaires pour renverser la tendance. Et toutes ces mesures sont déjà en voie de s’implanter.

Ce plan est libérateur, car il permet d’en finir une fois pour toutes avec les solutions nunuches de pop-écologisme, du genre «laver son linge à l’eau froide» ou «renoncer aux carburants fossiles» — qui sont autant d’incantations aussi ridicules qu’impraticables.

Photo: Bas Emmen, Unsplash
Selon Hawken, il n’y a pas de petite mesure. Photo: Bas Emmen, Unsplash

Un plan simple, mais pas simpliste

Outre sa simplicité, le plan Hawken a le mérite d’être adaptable. Au Québec, 99% de l’énergie électrique produite est déjà de source renouvelable et le niveau d’éducation des femmes est déjà meilleur que celui des hommes. On pourrait donc s’attaquer à d’autres priorités, telles que la gestion de la forêt tempérée et le gaspillage énergétique.

L’autre élément qui frappe dans ce plan, c’est sa genèse. Hawken y est parvenu grâce à la bonne volonté des scientifiques qui y ont travaillé. Mais surtout parce qu’il s’était donné un but, celui de renverser la tendance — ce qu’il appelle le drawdown.

Avec ce but, Hawken met à nu ce qu’il y a de plus anxiogène dans le discours général sur les changements climatiques, et que chacun perçoit intuitivement. «Ralentir la croissance des GES» revient à repousser le pire à plus tard — à quoi bon? «Arrêter leur croissance» signifie qu’on évite sans doute le pire sans rien améliorer — tout ça pour ça? «Renverser», cela signifie ramener les choses là où elles devraient être — là, tu parles!

Il faudra tout de même s’adapter

Mais même si on renversait la tendance sur une ou deux générations, il faudra quand même s’adapter. C’est le message d’Ouranos, un consortium de chercheurs spécialisé en climatologie régionale. Car les étés plus chauds, les hivers plus froids, les précipitations plus abondantes, les migrations d’espèces et de maladies nouvelles, nous les subirons pour encore 30 à 50 ans — au moins. Les écoles et les CHSLD devront être climatisés. Les médecins devront soigner de nouvelles maladies. Hydro-Québec devra répondre à des épisodes de verglas, de tornades et d’orages violents plus nombreux. Les agriculteurs se battront contre de nouveaux parasites. Nos forêts verront arriver de nouvelles espèces de bêtes, de plantes et de parasites. Et pendant ce temps, les pouvoirs publics se demandent encore quoi faire avec les zones inondables…

Bref, quelle que soit la couleur du prochain gouvernement à Québec le 2 octobre prochain — et à Ottawa dans un an —, il faudra que nos élus sortent de leur catatonie. Au pouvoir ou dans l’opposition, ils devront faire montre de leadership et dépasser la partisanerie pour s’attaquer à un problème qui n’est ni de droite ni de gauche.

S’ils adoptent le plan Hawken, il faudra l’adapter à la réalité québécoise. S’ils veulent autre chose, alors quel plan proposeront-ils? Pour quel objectif? Avec quels moyens? Et dans l’un ou l’autre scénario, comment adapteront-ils les pratiques, les règles et les normes aux effets que le changement climatique continuera d’avoir sur une ou deux générations?

Du leadership svp!

Du gouvernement, on ne demande qu’une chose: qu’il ait le courage de gouverner. Cette tautologie a l’air d’une mauvaise blague, mais les gouvernements qui sont à la hauteur sont plutôt rares. Une génération, c’est long: c’est six élections. Deux générations: douze! Une éternité en politique. Mais dans la vraie vie, c’est à peine le temps de faire grandir une cohorte de nouveaux politiciens — dont on attendra le meilleur en espérant qu’ils ne livreront pas le pire.

Certes, le mouvement écologiste devra lui-même sortir des incantations pour proposer des solutions applicables et efficaces. Et les citoyens moyens devront faire montre de souplesse et d’initiative. Mais la responsabilité suprême d’orienter l’ensemble reviendra toujours au gouvernement. Car quand bien même tout le monde recyclerait ses pots de yaourt, cela ne fera jamais une politique efficace.

Il faudra donc que nos élus décident et qu’ils assument leurs décisions, et qu’ils cessent de diriger comme si gouverner était un concours de popularité. Ce qui suppose qu’ils décident dans l’intérêt général et non pas seulement pour faire plaisir à tout le monde. Parce que c’est le Québec, le Canada, le monde, la planète, la nôtre et celle de nos enfants, qui est en jeu.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.