ONF: Mouvement de contestation historique du milieu du documentaire
Mouvement de contestation historique du milieu du documentaire au pays, alors que c’est la première fois que des cinéastes d’animation et des documentaristes se soulèvent pour défendre leurs droits.
Si ce qui est en train de se passer est si important dans ce secteur culturel spécifique, c’est parce que ça concerne la gestion de nos fonds publics à travers la gouvernance de l’Office national du film du Canada (ONF), certes, mais aussi parce que c’est là même qu’est né le cinéma québécois tel qu’on le connaît, qu’une certaine parole a été entendue à travers des grands qui y ont fait leurs armes.
Rappelons l’apport d’exception des Michel Brault, Jean-Claude Labrecque, qui vient de nous quitter, Pierre Perrault, Anne Claire Poirier, Alanis Obomsawin et compagnie. Par ailleurs, les doléances du milieu démontrent à quel point le monde du documentaire, qui revêt pourtant une importance capitale dans les fondements de nos racines et valeurs, est trop souvent mésestimé. De toute évidence, une mutinerie à l’ONF ne pouvait pas et ne devait pas passer inaperçue! Retour sur les événements.
C’est d’abord la récente annonce du ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, de renouveler pour trois ans le mandat de Claude Joli-Coeur à la tête de l’Office national du film du Canada (ONF) – aussi président de son conseil d’administration (trouvez l’erreur) – qui a jeté de l’huile sur le feu. Plus de 250 cinéastes qui contestent le leadership de Joli-Coeur ont alors décidé de rompre le silence – faisant d’ailleurs fi de bien des peurs de représailles éventuelles d’une des plus importantes mains qui les nourrit – pour dénoncer certaines incongruités à l’ONF.
Salaire de crève-la-faim
La Presse+ rapportait dans son édition du 29 juin le cas de la réalisatrice d’expérience Pascale Ferland, une de ceux et celles qui ont pris la parole, finaliste cette année au Gala Québec Cinéma pour son excellent et précieux documentaire Pauline Julien, intime et politique, qui raconte s’être fait proposer un salaire annuel de 20 000$ par l’ONF pour une année de travail, incluant la recherche exhaustive qu’on imagine derrière un tel projet à caractère historique… 20 000$… C’est n’importe quoi, c’est rire des créateurs, s’y méprendre à l’endroit de ce qui pourtant démontre manifestement, en fin de compte, à quel point travail, efforts et expertises sont derrière le rendu. Et, oui, le talent, le génie, les idées, ça se monnaye, car bien que ce soit passionnant d’être créateur, que ce dernier donne l’impression de jouer, ce jeu est un boulot qui doit permettre audit joueur de payer son hypothèque.
Je rappelle au passage que l’ONF est une agence culturelle fédérale qui relève du ministère du Patrimoine canadien, qu’elle a été créée par une loi du Parlement en 1939 et qu’elle a pour mandat – tel que défini dans la Loi sur le cinéma de 1950 – de «produire et distribuer des films destinés à faire connaître et comprendre le Canada aux Canadiens et aux autres nations, et promouvoir la production et la distribution de tels films».
Donc, pour en revenir au cas de Pascale Ferland, non, l’ONF n’est quand même pas une de ces fondations qui tirent le diable par la queue pour lesquelles très souvent les artistes acceptent de donner du temps à très faible coût, bien souvent gratuitement, sorte de «pro bono» artistique – pour emprunter le terme au milieu juridique – qui, soit dit en passant, ne concerne pas que ce monde-là, mais ça, ça fera une autre chronique.
Pascale Ferland, donc – qui a finalement obtenu un «gros» 32 000$ au lieu du maigre et honteux 20 000$, après avoir témoigné son désaccord –, n’est bien sûr pas la seule à sortir de l’ombre dans la foulée de ce soulèvement. Notons aussi les propos bien sentis du talentueux scénariste, cinéaste et producteur Hugo Latulippe, qui signait un texte dans La Presse+, le 2 juillet dernier, en réaction à un statut Facebook de la cinéaste Nadine Gomez, elle aussi membre de ce regroupement qui notait la perception «d’interchangeables» que se faisait selon elle le gouvernement à l’endroit des cinéastes.
Latulippe, qui souligne qu’il n’a essuyé que des refus de l’ONF pour ses projets depuis son film Alphée des étoiles en 2012, fait référence à ce qu’entre cinéastes ils ont appelé le «mystère de l’ONF». «Tout le milieu trouvait ça de plus en plus bizarre, à la longue. Comment se fait-il qu’il n’en sort plus (de l’ONF) que quelques rares films dont nous-mêmes – les professionnels du milieu – n’entendons pas vraiment parler? Que s’y passe-t-il exactement? Que font tous ces gens qui entrent et sortent quotidiennement dans le blockhaus de Côte-de-Liesse avec les 72 millions de crédits annuels que vous leur allouez, monsieur le Ministre?» écrit-il courageusement après avoir, à l’initiative des cinéastes d’animation du National Film Board (NFB) à Toronto, eu recours à la Loi canadienne sur l’accès à l’information pour découvrir que, selon ce qu’ils déplorent, l’argent va de moins en moins dans les films et de plus en plus dans le salaire des gestionnaires de l’ONF, le mobilier, les événements, etc. Du côté de l’ONF, M. Joli-Cœur n’a pas trouvé de temps pour nous accorder une entrevue à ce sujet.
Faire du docu n’est pas un passe-temps
Ce qui se perpétue trop à travers les années toutefois, c’est cette vilaine impression que les artistes ne bossent que pour la gloire, qu’ils ne travaillent pas «vraiment», et que le documentaire – et d’autres formes d’art, je sais… – est traité à la légère, comme le «noble» passe-temps de quelques illuminés et de valeureux pelleteurs de nuages qu’on aime quand même bien mettre sur la sellette quand il s’agit de montrer nos gros bijoux de famille au monde entier. Ça me met hors de moi de constater cette conception erronée d’un milieu fondamental dans la présentation, le décryptage et la vulgarisation en mots et images de sujets variés qui ne seraient pas traités, sauf en de trop rapides reportages aux nouvelles ou dans le trop peu d’émissions d’affaires publiques ou de type «magazine» que nous avons ces années-ci, des années dominées par la fiction et le divertissement, bien entendu.
L’ONF, qui a récemment retiré son emblématique logo, créé par Georges Beaupré, de son édifice actuel du chemin de la Côte-de-Liesse, et qu’on a pu admirer plus d’une fois en raison notamment du trafic routier monumental qui sévit dans ce coin de la ville, aura une nouvelle signature dans ses nouveaux bâtiments au cœur du Quartier des spectacles, où l’organisme déménagera à l’automne. Souhaitons que ces changements apportent un vent de renouveau au profit de nos créateurs et de ce qu’ils apportent à notre société.
Je craque pour…
Hunters Trance, album de Cat Clyde
C’est une belle découverte pour moi que cette Cat Clyde, originaire de l’Ontario, qui amorce une tournée internationale ce mois-ci avec des arrêts au Sea Shack de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie (21 juillet), à L’Anti-Bar & spectacles de Québec (2 octobre) et au Ministère de Montréal (3 octobre), après une visite en Allemagne, en République tchèque et en Slovaquie…
Bref, elle est lancée, cette artiste qui donne dans un mélange de vieux soul et de blues à travers des airs qui rappellent parfois Etta James, Amy Winehouse, voire Martha Wainwright. J’aime sa voix éraillée et lancinante, ses textes contemporains, sa dégaine à la fois fragile et combattive. Il faudra la suivre de près.