La chronique Société et Culture avec Claudia Larochelle

Auteur(e)

Claudia Larochelle

Claudia Larochelle est auteure (Les bonnes filles plantent des fleurs au printemps, Les îles Canaries, Je veux une maison faite de sorties de secours - Réflexions sur la vie et l'oeuvre de Nelly Arcan, la série jeunesse à succès La doudou, etc.) et journaliste spécialisée en culture et société. Elle a animé pendant plus de six saisons l'émission LIRE. Elle est chroniqueuse sur ICI Radio-Canada radio et télé et signe régulièrement des textes dans Les Libraires et Elle Québec. Elle est titulaire d'un baccalauréat en journalisme et d'une maîtrise en création littéraire. On peut la suivre sur Facebook et Twitter @clolarochelle.

Culture: état des lieux (2/3)

Mais où est la musique?

Avec la numérisation de nos consommations musicales (streaming, MP3, fin de la popularité des supports physiques, téléchargements illégaux) et la pandémie dans laquelle nous sommes toujours depuis bientôt trois mois, privant de la scène des artistes tels que des musiciens qui en retirent la majeure partie de leurs revenus, on ne peut pas dire que l’industrie musicale l’a eue facile depuis le début du présent siècle. Or, bonne nouvelle pour les musiciens qui n’ont plus le cœur au party, selon la banque d’investissement Goldman Sachs, le vent serait en train de changer de bord.



«[…] le développement continu de la base d’abonnés aux plateformes de streaming, la demande croissante en contenus musicaux et évènements en direct, les nouvelles possibilités de licence et les évolutions réglementaires ouvriraient de beaux horizons au secteur musical», rapportait le 5 juin Korii., l’espace consacré aux nouvelles économies, aux nouvelles technologies et à la société de Slate.fr.

On s’en doute bien, en 2020, l’industrie musicale mondiale verra ses revenus fondre de 25% au total, plombée par une chute logique de 75% de ceux liés au spectacle vivant. Toujours selon les estimations de Goldman Sachs, l’industrie musicale représentera néanmoins 126 milliards d’euros en 2030, contre 68,7 milliards en 2019.

Photo: Alphacolor, Unsplash

Bien sûr, le vent a besoin d’être rapide parce que la crise pandémique a fait mal, très mal, au secteur de la musique d’ici et d’ailleurs comme à tout le secteur culturel qui dépend de l’accès à des salles, à la scène, bref partout où les obligations sanitaires et de distanciation rendent complexes, voire impossibles l’accès à ce type de culture.

Selon Pierre Fortin de la Guilde des musiciens, 80% des activités liées à cette industrie proviennent de retombées de la scène. «À la lumière de ce qu’on a appris de nos membres sondés qui ont répondu, depuis la mi-mars, ce serait environ 4 millions $ de pertes qui auraient été enregistrées. Il s’agit de salaires perdus qui n’ont pas été compensés par grand-chose. On ne s’attend d’ailleurs pas à ce que ça reprenne du jour au lendemain. L’affaire, c’est que ça a été subi, j’en connais qui ont perdu des milliers de dollars en l’espace d’un claquement doigts et ça, ça ne se retrouve pas comme ça.»

Bien sûr, vous l’avez vu comme moi, de nombreux artistes ont été rapides sur la gâchette technologique, se sont «réinventés» «docilement» en se filmant dans leur cuisine mal éclairée, puis, la plupart ont peaufiné leurs trouvailles technologiques, allant jusqu’à donner des concerts plus étoffés en solo ou en groupe.

Session de soir - “Burnout Fugue”

Vous êtes plusieurs professionnels de la santé à m’écrire pour me dire que ma musique vous apporte du réconfort dans cette période anxiogène. “Burnout fugue” est une pièce que j’ai écrite dans un élan de résilience, de soif de vivre et de colère parfois nécessaire dans l’adversité. Aujourd’hui j’aimerais vous la dédier. X~~~~~~~~~~I have received many messages from health practitioners lately saying that my music is helping them through these hard times and I am truly grateful for it. “Burnout Fugue” was written in a burst of resilience, hope, and an urge to move forward through adversity. Today, I would like to dedicate it to you.X

Posted by Alexandra Stréliski on Wednesday, April 8, 2020

D’autres ont carrément proposé des spectacles inédits, comme Dear Criminals, qui a performé devant un ou deux spectateurs à la fois sur la scène du Lion d’or, une belle affaire qui, m’a-t-on dit de manière assez unanime, était formidable. Hourra. Or, je doute que ça ait été bien rentable pour la formation montréalaise, mis à part l’excellent coup de marketing qui a fait jaser.

Dear Criminals a performé devant un ou deux spectateurs à la fois sur la scène du Lion d’or. Photo: Facebook dear criminals

«Concernant ce qui s’est fait gratuitement en ligne, c’est l’fun, mais il y a un danger certain à la gratuité parce que la ligne est mince entre vouloir bien faire et diminuer la valeur du travail», commente Pierre Fortin. Selon lui, les gens sont maintenant prêts à payer pour des performances en ligne, pourvu que ce soit de grande qualité, que ça apporte quelque chose de plus. Pour ce faire, il doit y avoir des investissements et tout cela a un coût.

Rappelons que le 1er juin dernier, le gouvernement du Québec a dévoilé son fameux Plan de relance économique du milieu culturel totalisant un soutien de 400 millions $, y compris plus de 289 millions $ pour relancer les différents secteurs, et 110 millions $ en nouveaux investissements. 33,5 millions $ sont consacrés au secteur de la musique.

Comme le précise un communiqué de l’Union des artistes (UDA) diffusé récemment, ce plan prévoit le soutien aux projets stratégiques, numériques ou de processus d’affaires, dont la réalisation permet aux artistes et aux entreprises de faire face aux défis des nouvelles habitudes de consommation et de profiter de tous les outils de création et de diffusion à leur disposition. Ces projets peuvent relever autant de la création, de la production, de la diffusion que de la commercialisation de la musique.

Parmi ces mesures activées pour favoriser cette relance, notons, entre autres, le lancement de plusieurs albums, tant sur les réseaux sociaux et les plateformes qu’à la radio ou à la télévision, l’indexation des contenus musicaux en ligne, notamment la musique francophone, pour accroître les revenus en provenance des redevances et de la gestion des droits, les projets de captation sonore pour la réalité virtuelle, la diffusion en ligne ou à la télévision, les lancements virtuels d’albums ou les premières de spectacles qui permettent l’interaction avec le public en ligne, les projets collectifs de promotion et de découvrabilité des contenus sur les plateformes numériques et les médias sociaux et des listes de recommandations de musique québécoise partagées par des influenceurs ou des personnalités connues.

Penser classique

Concernant le développement numérique sur lequel mise beaucoup le gouvernement, rappelons que 14 millions $ ont été alloués pour donner les moyens au milieu culturel de réaliser ses ambitions numériques, ce qui ne risque toutefois pas d’être une avenue si bonne pour tous les acteurs du monde musical, pensons juste aux membres du Conseil québécois de la musique (CQM), qui regroupe des professionnels du milieu de la musique de concert.

Photo: Stefany Andrade, Unsplash

«Je ne crois pas tant au web. Pour les concerts, ça n’a jamais été ben bon, c’est bon pour les grandes vedettes ou les vedettes pop. Les plateformes en ligne rapportent à ceux qui les gèrent, mais pas aux musiciens. Quand on parle de musique de concert, on parle de répertoires qui sont les mêmes partout (à part la création en musique contemporaine) pour tous les orchestres du monde, on a un OSM qui rivalise avec le Philharmonique de Berlin, un Opéra de Montréal qui rivalise avec le Met. Au Québec, très peu d’argent a été investi là-dedans, ça ne rapporte pas, ils l’ont fait pour garder leur image de marque, faire du marketing, garder un lien avec le public. Le web ne servira pas à diffuser des concerts pour en tirer un revenu», déclare Dominique Trudel, directeur général du CQM.

Heureusement, les affaires évoluent à la vitesse grand V. L’impact sur le milieu culturel de la fin annoncée de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) semble d’ailleurs avoir été bien pris en compte par le ministre du Patrimoine canadien, Steven Guilbeault, qui a assuré le 9 juin dernier lors d’une visioconférence organisée par le Conseil de la culture des régions de Québec et de Chaudière-Appalaches que les mesures d’urgence mises en place, dont la PCU et la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC), étaient appelées à se raffiner. On laisse entendre, sans toutefois le confirmer, qu’une aide adaptée au milieu culturel permettrait aux artistes de passer au travers de la lente reprise des activités. D’autres annonces sont attendues très prochainement, entre autres sur les salles de spectacles, ce qu’elles pourront offrir en matière de concerts, par exemple.