La chronique Culture avec Claude Deschênes

Auteur(e)
Photo: Martine Doucet

Claude Deschênes

Claude Deschênes collabore à Avenues.ca depuis 2016. Journaliste depuis 1976, il a fait la majeure partie de sa carrière (1980-2013) à l’emploi de la Société Radio-Canada, où il a couvert la scène culturelle pour le Téléjournal et le Réseau de l’information (RDI). De 2014 à 2020, il a été le correspondant de l’émission Télématin de la chaîne de télévision publique française France 2.On lui doit également le livre Tous pour un Quartier des spectacles publié en 2018 aux Éditions La Presse.

Envie de bonnes histoires?

Cette semaine, je vous propose de plonger dans l’histoire avec un grand H. La troisième édition du Festival international du film d’histoire de Montréal (FIFHM), qui a commencé mercredi et se poursuit jusqu’au 23 mai, propose sur le web une quarantaine de films venant d’une dizaine de pays. Histoire de femmes, mémoires de guerres, retour sur des génocides, célébration de luttes citoyennes; les sujets sont variés et passionnants. Un passeport, au coût de 25$, vous donne accès à cette généreuse offre. Voici ma sélection.


Le ciel est à elles de Valérie Manns

Si vous n’aviez qu’un film à regarder parmi la sélection du FIFHM cette année, je vous conseillerais sans hésitation Le ciel est à elles de Valérie Manns, une production qui a été présentée en première il y a quelques semaines à la télévision française à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

La documentariste française nous raconte l’histoire fabuleuse et méconnue de trois battantes qui ont marqué l’aviation française entre les deux grandes guerres: Adrienne Bolland, Maryse Bastié et Hélène Boucher. Les trois Madame B sont des intrépides, des bombes volantes, des kamikazes. Le film nous fait revivre avec des archives époustouflantes leurs nombreux exploits aériens. Pour piquer votre curiosité, je vous en énumère quelques-uns.

Photo: zadigproductions.fr

Il y a cent ans, en 1921, Adrienne Bolland sera la première femme à traverser la cordillère des Andes. En 4 heures 15 minutes, à bord d’un Caudron G.3 fait de bois et de toile, elle reliera Mendoza en Argentine à Santiago du Chili. Le récit de ce vol donne froid dans le dos. Quelques années plus tard, Adrienne Bolland bat le record féminin de looping: 212 en 72 minutes de vol. Le record tient toujours.

En 1930, Maryse Bastié établit un record jamais égalé non plus, celui du plus grand nombre d’heures en vol, soit 37 heures 55 minutes. Elle s’asperge les yeux d’eau de Cologne pour s’empêcher de dormir!

Photo: zadigproductions.fr

Quant à Hélène Boucher, elle est associée à des records de distance et de vitesse. En 1934, elle devient l’être humain le plus rapide de la planète en volant à 444 km/h à bord d’un monoplace portant le numéro 13.

Le documentaire prend bien soin de nous replacer dans le contexte de l’époque, celle des années folles où tout est possible. Les meetings aériens où les pilotes accomplissent leurs acrobaties attirent des foules aussi nombreuses qu’avides d’émotions fortes. Les aviateurs sont les vedettes de l’heure, qu’on pense à Mermoz, Saint-Exupéry, Blériot, Lindberg. Dans un milieu et une discipline aussi machiste, les femmes n’avaient d’autre choix que de repousser les limites pour être considérées.

Photo: zadigproductions.fr

Si les hommes politiques répugnent à vanter les mérites de leurs exploits, des féministes en font leur modèle. Le film nous montre la célèbre activiste Louise Weiss entourée des trois célèbres aviatrices dans une campagne pour défendre la cause du suffrage des femmes.

Hélène Boucher n’a jamais pu exercer son droit de vote, elle est morte lors d’un vol d’essai en 1934; elle n’avait que 26 ans. Maryse Bastié, elle, a perdu la vie en 1954 dans un écrasement d’avion alors qu’elle était passagère. Quant à Adrienne Bolland, surnommée Madame Sans Gène, elle a fait partie de la Résistance française, et a vécu jusqu’à l’âge de 79 ans.

Je vous jure, voilà trois destins fascinants à découvrir.

Photo: zadigproductions.fr

Nuremberg, des images pour l’Histoire de Jean-Christophe Klotz

L’édition 2021 du Festival international du film d’histoire de Montréal compte plusieurs documentaires sur la Deuxième Guerre mondiale, une période qui n’a pas fini de livrer ses secrets.

Dans Nuremberg, des images pour l’Histoire, Jean-Christophe Klotz s’intéresse à un aspect jamais, ou très peu documenté à ce jour: le rôle du cinéma dans le procès de Nuremberg, intenté par les puissances alliées aux dirigeants du Troisième Reich. Le film nous explique comment le procureur américain Robert Jackson a utilisé les prestations filmées des Rudolph Hess, Hermann Göring, Joachim von Ribbentrop et compagnie pour les faire accuser.

On part donc sur la trace de Budd et Stuart Schulberg, deux membres de l’OSS (l’ancêtre de la CIA) qui ont pour mission, dès la signature de l’armistice, de trouver en Allemagne des archives incriminantes. Ils travaillent sous les ordres de John Ford (qui deviendra plus tard le réalisateur le plus oscarisé de l’histoire) et doivent faire vite, car le procès de Nuremberg commence le 20 novembre 1945.

Grâce à des proches d’Hitler, comme la réalisatrice Leni Riefenstahl et le photographe Heinrich Hoffmann, et au militaire russe Roman Karmen, basé à Berlin, les frères Schulberg réussissent à assembler quatre heures de preuves accablantes (les images qu’on nous montre sont atroces) qui seront projetées devant la cour, une première dans l’histoire.

Parallèlement, les Schulberg ont la mission de faire un film avec les interrogatoires du procès de Nuremberg. On a alors droit à une leçon de cinéma. On nous expose l’incroyable logistique que ce tournage requiert, l’énorme défi de scénarisation que représente un tel sujet, la complexité du montage à partir de 39 heures de tournage alors que le procès a duré plus de 200 jours, et finalement, le dilemme de la diffusion d’un document qui accable un pays qu’on souhaite réhabiliter. Le film en question ne sera jamais présenté en salle. C’est la découverte, en 2003, par la fille de Stuart Schulberg, d’une vieille copie abîmée qui mettra au jour cette histoire formidablement racontée par Jean-Christophe Klotz.

Le marché de l’art sous l’Occupation de Vassili Silovic

Restons un moment à l’époque de la Deuxième Guerre avec un documentaire qui décrit comment le marché de l’art, dont Paris était l’épicentre, a réagi à l’occupation allemande.

Dans son film, Vassili Silovic nous rappelle d’abord comment les autorités du Louvre sont allées au-devant des coups en vidant le musée de ses pièces les plus précieuses avant l’arrivée des troupes allemandes dans la capitale française. Cette opération offre des images saisissantes.

On décrit ensuite l’ampleur de la spoliation des juifs. On dit que 35 000 trains chargés d’œuvres d’art et de produits de luxe ont quitté Paris entre 1940 et 1944. Des biens confisqués aux juifs sont aussi revendus dans la capitale lors d’enchères où il est clairement dit qu’il s’agit de biens israélites, démontrant le sombre côté de la collaboration. Qui plus est, les juifs sont interdits d’entrée dans ces lieux qui dilapident leurs propriétés. Les affaires de l’hôtel Drouot n’ont jamais été aussi florissantes que durant cette période, apprend-on aussi.

Ce n’est pas tout. Le film illustre comment les hommes du Troisième Reich, après s’être approprié des œuvres en accord avec leurs goûts eugéniques, ont démonisé les courants artistiques récents, les qualifiant d’art dégénéré. La valeur de peintres comme Picasso ou Chagall chute, ce qui permet à certains collectionneurs d’enrichir leurs collections à vil prix.

La démonstration implacable de Vassili Silovic se conclut par un sujet qui demeure d’actualité, soit l’importance de la recherche de la provenance des œuvres d’art et la restitution des œuvres aux propriétaires originaux. Le documentaire Le marché de l’art sous l’Occupation a tout de la boîte de Pandore.

Bâtiment 7 de Jacinthe Moffat

Histoire plus récente et de chez nous, il faut voir Bâtiment 7, qui est le récit d’un projet communautaire montréalais arraché de longue lutte, et qui n’a pas eu toute la notoriété que cette victoire méritait.

En 2003, des résidents de Pointe-Saint-Charles revendiquent une partie du gigantesque terrain que le Canadien National a occupé dans leur quartier pendant des décennies. Ils veulent y établir un centre communautaire offrant des services aux gens du coin (épicerie, salles de soins, réparateur de vélos), et un lieu culturel avec des ateliers d’artistes. Pour arriver à leurs fins, ces militants ont d’abord dû faire dérailler le projet de déménagement du casino de Loto-Québec dans ce secteur de la ville.

En une vingtaine de minutes, Jacinthe Moffat donne la parole à quelques artisans de cette lutte qui a longtemps été vue comme une utopie. Ils nous racontent cette bataille de plus de dix ans pour devenir propriétaire du bâtiment 7 et ses 90 000 pieds carrés d’espace. Après le visionnement, on a juste envie d’aller au 1900, rue Le Ber pour voir ça de visu. Et pourquoi pas, de prendre aussi une bière au bar Les Sans-Taverne, qui est un des occupants de ce lieu ouvert au public.

11 septembre: l’avertissement du commandant Massoud de Nicolas Jallot

En cette année du 20e anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, le documentaire de Nicolas Jallot, 11 septembre: l’avertissement du commandant Massoud, revisite un angle précis de ces événements. Le film s’intéresse au commandant Ahmed Chah Massoud, figure emblématique de la lutte contre les Soviétiques et ensuite les talibans en Afghanistan.

On nous fait revivre sa visite à Paris et au Parlement européen au printemps 2001, où il a mis en garde l’occident, et particulièrement l’Amérique, des dangers qu’il y avait à vendre des armes au Pakistan, le pays qui a permis la prise du pouvoir par les talibans et le développement du groupe terroriste Al-Qaïda.

Sa mise en garde sera prémonitoire, et sa croisade lui sera fatale. À son retour dans son fief au nord-est de l’Afghanistan, il sera assassiné par Al-Qaïda, le 9 septembre 2001. Le document, tout récent, permet d’entendre les témoignages d’acteurs de l’époque, dont le ministre des Affaires étrangères de la France d’alors, Hubert Védrine.

Le nom de Massoud est revenu dans l’actualité française le 27 mars dernier lorsque la mairesse de Paris a nommé une allée des Champs-Élysées à son nom.

Paris, capitale du tiers-monde de Annie Dautane

La programmation du FIFHM compte un bon nombre de films français. Il faut dire que les Français sont très forts en documentaire et que leur histoire ne manque pas de sujets à explorer. C’est avec curiosité que j’ai plongé dans Paris, capitale du tiers-monde, qui nous explique comment la France a été un vivier pour les mouvements de décolonisation.

Le film s’intéresse à trois personnages venus des colonies qui ont vécu la grande devise «Liberté, Égalité, Fraternité» comme un leurre. Le parcours du Vietnamien Hô Chi Minh est particulièrement éloquent. On entend aussi la voix de Lamine Senghor, artilleur sénégalais envoyé au front pendant la Première Guerre, qui deviendra porte-étendard de la négritude, et celle de l’Algérien Messali Hadj, qui sèmera, dès les années 1920, les premières graines de l’idée de la décolonisation de l’Algérie.

Ce documentaire procure un retour à certaines bases qui nous permettent de mieux comprendre certains enjeux d’aujourd’hui.

Une fois la poussière retombée de Hervé Demers

Une dernière suggestion? Un film impressionniste sur la ville d’Asbestos.

Hervé Demers est allé à la rencontre de citoyens de cette ville minière pour qu’ils nous disent ce que ça signifie vivre à côté de la plus grande mine d’amiante au monde, avec son trou géant et sa poussière éternelle.

On ne voit pas les personnes à l’écran, les témoignages sont tous en voix off. Au grain de voix, on reconnaît des personnes âgées qui doivent tout à cette mine qui les a fait vivre et des plus jeunes prêts à aborder l’avenir en tournant le dos à ce minerai mortel. Alors qu’Asbestos est devenue officiellement Val-des-Sources en 2021, voilà un document qui mérite d’être vu.