Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Modérer nos transports

Ils étaient quatre ministres et un premier ministre à la Place des Arts, jeudi dernier, pour le dévoilement de la nouvelle politique énergétique du Québec des 15 prochaines années. Ce jalon important établit les intentions du gouvernement sur l’aspect le plus fondamental de notre économie – et de nos vies, pourrait-on dire.

Cette politique est ambitieuse. Elle vise à réduire la consommation québécoise de pétrole de 40% d’ici 2030. Le gros de l’action se situera dans les transports, là où la consommation de produits pétroliers n’a de cesse d’augmenter.

Bien qu’on ignore encore les détails du plan d’action de cette politique, elle nous apparaît réaliste, car elle cible à la fois la «décarbonisation» des transports et le déploiement d’une politique de transport collectif forte.

Les deux doivent aller de pair et ce serait une erreur grave de privilégier l’un sur l’autre pour la simple et bonne raison qu’au moins la moitié de la population québécoise est trop clairsemée pour qu’il soit réaliste d’envisager du transport collectif en dehors du transport scolaire ou intervilles – et encore. Après 70 ans d’étalement urbain, on ne peut tout simplement pas revenir en arrière sur ce plan.

L’une des clés de la décarbonisation des transports sera l’électricité. La politique énergétique annonce un million de voitures électriques d’ici 2030, soit le cinquième du parc automobile québécois. On compte y arriver par des crédits d’impôt ou des subventions, dont la nature et les détails ne sont pas encore précisés. Mais à voir l’intensité de la demande pour la nouvelle Tesla 3 – 1000 Québécois ont versé un dépôt de 1000 dollars pour une voiture qu’ils n’ont jamais vue et qui ne sera livrée que dans deux ans –, le public québécois est mûr pour du changement sur ce plan.

En fait, il est plus juste de parler de décarbonisation que d’électrification, car la substitution que prépare le gouvernement ne concernera pas que l’auto électrique. Une partie du remplacement du pétrole se fera à travers les biocarburants, le propane et le gaz naturel liquéfié, un carburant qui, bien qu’à base de carbone, produit beaucoup moins de GES. La politique annonce aussi la création d’un réseau-pilote de stations multicarburants qui viendra s’ajouter aux 720 bornes de recharge du Circuit électrique d’Hydro-Québec.

L’autre gros défi de ce plan sera la question du transport collectif – urbain, certes, mais aussi périurbain et intervilles.

Au quotidien La Presse, ce week-end, le premier ministre Couillard affirmait que la Caisse de dépôt et placement était sur le point d’annoncer qu’elle investirait dans la navette du futur Pont Champlain et celle vers l’aéroport Montréal-Trudeau. Et il s’est dit résolu à prolonger la ligne bleue du métro vers l’est.

Ces trois grands projets forment un excellent début de plan d’action, mais ils ne suffiront pas à faire pencher la balance à eux seuls.

Avec beaucoup de justesse, la nouvelle politique énergétique cible l’urbanisme, et plus largement l’aménagement du territoire, comme étant son premier champ d’action.

Mais faut-il applaudir ou pleurer? Car cela fait 25 ans que le problème des GES est connu et le gouvernement du Québec en est encore à affirmer qu’il faut planifier le développement du territoire en tenant en compte de la dimension énergétique. Que de temps perdu!

Espérons que le gouvernement étudiera de près comment les Européens sont parvenus à contenir leur intensité énergétique. Après tout, ils produisent autant de richesse que nous avec moitié moins d’énergie. Et ce n’est pas seulement parce qu’ils installent des commutateurs à minuterie dans les immeubles!

Cela fait longtemps qu’ils pratiquent une fiscalité cohérente. Les produits pétroliers y sont d’abord lourdement taxés, plus encore qu’ici, et ce n’est qu’une des mesures. En France, les villes périphériques sont forcées d’appliquer des taux de taxation supérieurs à ceux des villes-centres. De même, l’immatriculation des grosses cylindrées énergivores coûte beaucoup plus cher que celle des petites cylindrées économes. Ce sont là des mesures d’application simple, même si c’est une autre histoire, politiquement.

Photo: Nabeel Syed, Unsplash
Photo: Nabeel Syed, Unsplash

Le plus gros problème que le gouvernement du Québec devra surmonter en matière de transport collectif, c’est le problème des mentalités. Un siècle de laisser-faire, ça laisse des marques!

Certes, la voiture est devenue une nécessité dans la plupart des banlieues et des petites villes de région. Et c’est la démocratisation du transport automobile qui a permis le développement de plusieurs régions éloignées. Mais partout, même en ville, la voiture est non seulement perçue comme un droit, mais comme une preuve de statut social. Et c’est cette dimension de fétiche automobile qui est le véritable obstacle aux politiques de transport collectif. Il est frappant de voir à quel point de nombreux automobilistes le «prennent personnel» dès qu’il est question d’encourager le transport collectif.

Quiconque a vécu en Europe est frappé par le mépris que nous entretenons en Amérique du Nord – Québécois, Canadiens, Américains – pour les transports en commun.

Il existe, dans la mentalité nord-américaine, cette idée que le transport collectif est un pis-aller quand on a des problèmes avec sa voiture. Cet individualisme forcené explique que l’on tolère des politiques de transport collectif mal pensées, où le matériel est négligé et insuffisant et le service, mal organisé: ces politiques nous servent à nous donner bonne conscience, pas à nous transporter.

Ce n’est pas un problème de densité puisque ce problème existe partout, même là où la densité le permettrait. À Montréal même, les taux de fréquentations baissent.

Le message subliminal de la nouvelle politique énergétique est que l’on souhaite changer les mentalités. En attendant les détails du plan d’action, souhaitons-nous bonne chance!

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.