Plages de rêve, vraiment?
J’ai une envie folle de ciel bleu, d’air salin, de sable blond et de plages. Je me prends à m’imaginer flânant sous un soleil brûlant, chacun de mes pas s’imprimant sur la grève jusqu’à ce qu’une vague vienne les effacer doucement. Je pense à la langueur des jours où le temps s’écoule au ralenti, jusqu’à ce qu’il s’accélère, comme toujours, à la fin des vacances.
Où mettrais-je le cap si je pouvais me téléporter là, tout de suite? Le Nouveau-Brunswick? Cuba? Zanzibar? Je me demande en fermant les rideaux: pourquoi une plage nous fait-elle rêver plus qu’une autre?
Le règne des tops
Aux États-Unis, Dr Beach livre chaque année depuis 1991 son top 10 des plus belles plages du pays de l’Oncle Sam. Cinquante critères sont évalués, notamment la qualité de l’eau, la sécurité et la gestion. Le souci de l’environnement prenant de l’importance, celles bannissant la cigarette obtiennent maintenant des points bonis.
Les grandes favorites? Siesta Beach en Floride, Kapalua Bay Beach à Maui, Hawaï, et Ocracoke Lifeguarded Beach, à Outer Banks, en Caroline du Nord. «Siesta Beach se targue d’avoir le sable le plus fin et le plus blanc du monde, ce qui attire des collectionneurs de sable de partout, peut-on lire dans le communiqué de presse. La pente douce qui mène à l’eau claire et propre la rend idéale pour la baignade. Sa plage, qui s’étend sur des centaines de verges, séduit les amateurs de fitness et les joueurs de volleyball.»
Quand on regarde de plus près, on réalise que les plages primées ont toutes eu droit à des investissements majeurs. «Siesta Beach, par exemple, a complété des rénovations de 21,5 millions de dollars, incluant plus d’espace de stationnement, un terrain de jeu et une aire de pique-nique», rapporte Skift.
Je ne peux m’empêcher de penser aux stars qui se font refaire face et fesses pour se retrouver elles aussi au top du top. Plages et célébrités, même combat? Tout pour paraître toujours plus beau, plus jeune et plus désirable. Le tout célébré à grands coups de likes (achetés ou pas) sur les réseaux sociaux.
Au-delà de la photo parfaite
Au-delà des images de cartes postales, de plus en plus de questions éthiques se posent. La qualité de l’eau est-elle toujours au rendez-vous? À quoi bon posséder la photogénie si plonger représente une menace pour la santé ou pour l’environnement? Et puis, comment vivent réellement les gens qui gravitent autour de ces clichés d’apparente perfection?
L’exemple le plus flagrant reste sans doute celui des Maldives. Qui n’a pas rêvé de couler des jours paisibles sur cette île magnifique en voyant des photos de cabanes de luxe plantées au-dessus d’une eau cristalline? Ces suites sur pilotis ne représentent-elles pas la quintessence des vacances cinq étoiles? Sauf qu’en 2014, les Maldives ont rétabli la peine de mort des mineurs. Selon un rapport de l’UNICEF, une femme sur trois est, de plus, victime de vol ou de violences sexuelles entre l’âge de 15 et 50 ans. «Enfin, la petite république islamique serait, en proportion, l’un des plus gros fournisseurs de combattants en Syrie et en Irak, avec plusieurs centaines de djihadistes», rapporte TV5 Monde.
Peut-on vraiment se faire bronzer l’esprit tranquille quand on sait qu’un gamin peut payer un crime de sa vie dès l’âge de 7 ans ou qu’une femme est peut-être en train se fait violer juste à côté? En vacances, est-ce qu’acheter, c’est encore voter ou peut-on passer à go et réclamer la paix d’esprit?
Des images difficiles à oublier
Je n’oublierai jamais ma découverte de Ko Phi Phi au début des années 2000. Ce paradis thaïlandais fourmillait de touristes venus découvrir les lieux vus et revus dans le film The Beach, mettant en vedette Leonardo DiCaprio. Plusieurs se disaient d’ailleurs déçus après avoir aperçu – souvent depuis un bateau – la plage du film, qui avait été maquillée pour les besoins du tournage.
Après quelques jours à profiter des plages idylliques, je m’étais aventurée dans un village où vivent des Thaïlandais. Je me suis soudainement retrouvée projetée hors du cadre de la carte postale. Là-bas, j’ai vu des gens se doucher à l’aide d’un seau près d’habitations très rudimentaires. Des cochons couraient dans les petites rues de terre battue à travers les enfants vêtus de haillons. Une réalité à des années-lumière des scènes mettant en vedette les touristes basanés que je voyais se dérouler devant mes yeux depuis mon arrivée. Je ne me suis jamais tout à fait remise du choc.
Pourtant, je continue, comme vous, à rêver de ces plages. D’imaginer une version photoshoppée de moi-même dans ces décors pimpés au cinéma et dans les brochures touristiques. Puis, immanquablement, je vois poindre la culpabilité, quelque part entre un énième pina colada et un coup de soleil. La réalité prend le pas sur la carte postale. Quand c’est trop beau pour être vrai, dit-on, c’est parce que ça ne l’est peut-être pas, justement.
Malgré tout, on a tous besoin d’une dose de déni de temps à autre. D’une bulle rose où échapper à nos tracas. Mais pendant ce temps, la vie continue sans filtres Instagram. Alors on fait quoi? On s’évade dans les tops 10 de Dr Beach et cie sans se poser de questions? On évite de sortir des zones touristiques?
Et si, au contraire, en ouvrant grand les yeux, on apprenait à repeindre ces images avec un peu plus de nuances? On dit que la beauté est dans l’œil de celui qui regarde. En y repensant, les habitants du village de Ko Phi Phi n’avaient pas du tout l’air malheureux. C’est moi qui ai brossé un portrait plutôt sombre à travers le prisme de mon regard d’Occidentale privilégiée. J’en viens même à me trouver un peu prétentieuse d’avoir tenu pour acquis que leur pauvreté – étaient-ils si pauvres? – était un gage de malheur. Est-ce une raison pour ne pas dénoncer l’écart entre le mode de vie des touristes et le leur? Non, quand même.
Avec le recul, j’en viens à me dire que le sourire d’un enfant qui court parmi les cochons vaut toutes les cartes postales du monde. N’empêche, c’est encore mieux quand tout le monde peut partager le même bout de plage, en toute sécurité. On peut toujours rêver, non?