Éditorial

Auteur(e)

Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.

Budget: Québec pense enfin un peu aux aînés!

Le budget de Québec déposé par le ministre des Finances Éric Girard jeudi dernier permet de croire que les premières lumières apparues à l’automne 2020 étaient peut-être le commencement de quelque chose de concret pour les aînés. Il était temps! L’effort est louable et salué par le milieu, mais ne répond pas à tout. Il faut souhaiter que l’effort ne s’arrête pas chemin faisant.



Disons-le, pour une fois, ce sont les aînés qui sortent grands gagnants de ce budget, avec une hausse des crédits de 2 milliards (G) $. Même si le Québec reste en mode rattrapage, il faut saluer le gouvernement, qui semble enfin avoir compris – avec 20 ans de retard – la conséquence du vieillissement de la population.

Sans surprise, en temps de pandémie, c’est la santé qui connaît la plus forte hausse budgétaire, soit 10 G$, dont 7 G$ pour la lutte contre la COVID. Mais dans les trois milliards non liés à la COVID, les aînés en récoltent les deux tiers, soit 2 G$ sur cinq ans. Sur ce montant, environ 1,5 milliard $ sont dirigés vers le soutien à domicile. Mais le budget consacre également 334 M $ pour 500 lits additionnels en CHSLD et 95 M$ pour les proches aidants – pour un total de presque 2 G $ (1 961 milliards pour être très précis).

Le gouvernement donne donc l’impression de vouloir émerger de sa gestion comateuse à l’égard des aînés. Il était temps: le nombre de Québécois âgés de 65 ans et plus augmentera de 600 000 d’ici 2030, pour atteindre 25% de la population. Devant ce tsunami démographique, il n’est plus possible de gérer la santé et le bien-être des aînés à la petite semaine comme on le fait depuis toujours, quitte à appeler les pompiers quand la maison brûle. À quelque chose malheur est bon: la pandémie aura au moins révélé que les risques de graves dérapages sont énormes.

La moitié de l’argent promis au soutien à domicile – 750 M $ sur cinq ans – ira pour subventionner des heures additionnelles au programme Soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA), qui offre déjà 13,8 millions d’heures à 186 000 Québécois, soit une moyenne de huit heures par personne. Cette aide s’ajoute aux 100 M $ annoncés en novembre.

L’autre contribution majeure concerne les 394 M $ pour bonifier le crédit d’impôt remboursable pour le maintien à domicile des aînés, destiné aux personnes de 70 ans et plus. Ce crédit, qui passe de 35 à 40 %, permet de rembourser un éventail très large de frais – aussi bien la tonte de gazon que l’installation d’un lit d’hôpital, en passant par une poignée pour le bain et une partie du loyer.

Les maximums prévus pour le calcul demeurent les mêmes: 19 500 $ pour une personne autonome et 25 500 $ pour une personne non autonome. Mais grâce à la hausse du taux, le niveau du crédit maximal passera de 6 825 $ à 7 800 $ pour une personne autonome, une hausse de presque 1 000 $.

Mais il y a mieux: plusieurs modalités visent à corriger des inégalités de traitement. Les locataires d’un logement dans un immeuble qui n’est pas une résidence pour aînés (RPA) pouvaient baser la partie «loyer» du montant admissible à seulement 600 $ alors que la moyenne des loyers est plutôt de 815 $. Le ministre vient doubler le seuil de loyer à 1 200 $. Cette bonification de l’aide aux locataires représente le tiers de la hausse totale du budget alloué à ce crédit d’impôt.

Le gouvernement peut se permettre d’être généreux parce qu’il rééquilibre le programme. Ceux qui gagnent un revenu familial inférieur à 60 135 $ toucheront plus, et les aînés autonomes qui gagnent davantage toucheront moins. Enfin, comme tout le monde ne se prévalait pas de ce programme, surtout parmi les locataires hors des RPA, le gouvernement leur accordera automatiquement un crédit minimal, quelle que soit leur situation – à charge pour eux de demander plus s’ils y ont droit.

Parmi les autres mesures favorables au maintien à domicile, le ministre des Finances promet 388 M $ pour les petites résidences privées pour aînés (RPA). Les 993 RPA de moins de 50 unités – 58% des 1 701 RPA québécoises – profiteront d’un crédit de 80% pour la mise aux normes de leurs installations. Les RPA plus grosses n’auront droit qu’à 20%. De même, les RPA de moins de 150 unités profiteront de mesures transitoires qui prolongeront encore de cinq ans une partie des subventions pour les soins instaurés pendant la pandémie.

Aussi généreux soit-il pour les aînés, ce budget 2021-2022 n’est en fait qu’une petite partie de ce que réclament organismes et intervenants après 25 ans de négligence, d’austérité et de déficit zéro. Photo: Depositphotos.com

Quelques bémols

Ces bonnes nouvelles, que salue notamment le Réseau FADOQ, ne doivent pas faire oublier qu’il ne s’agit que d’une embellie dans un portrait plutôt sombre de négligence chronique et de désastre de la première vague de la COVID, qui n’étaient que la pointe d’un iceberg de mauvaise gestion.

Quand on lit le budget, on peut d’ailleurs s’inquiéter de l’opacité dans la gestion de la santé. Prenez la section «soutien à domicile». Le ministre des Finances fait le fier en nous disant que le programme SAPA représente exactement 13 820 672 heures fournies. Pas 673. Non: 672, pile. Mais si vous voulez savoir combien d’heures de plus les 750 M $ représenteront, alors là, rien. Personne ne semble en mesure de dire si ce sera 528 675 heures de plus ou 1 476 899. Y a-t-il un pilote dans l’avion?

Vérification faite auprès de Guillaume Hébert, chercheur à l’Institut de recherche et d’information socioéconomique, les 150 M$ additionnels par année sur cinq ans pourraient représenter une augmentation de 10% des budgets de soutien à domicile. Pourrait. Et de toute façon, explique-t-il, vu l’âge moyen de la population, nous devrions être à 4 G$ à ce chapitre, soit trois fois le niveau actuel. Autrement dit, si l’on espère réellement offrir un niveau optimal de services, le ministre Girard et ses successeurs devront encore annoncer plusieurs hausses du même ordre année après année pendant au moins dix ans! On verra l’an prochain à quelle enseigne il loge.

Encore beaucoup de demandes

Aussi généreux soit-il pour les aînés, ce budget 2021-2022 n’est en fait qu’une petite partie de ce que réclament organismes et intervenants après 25 ans de négligence, d’austérité et de déficit zéro. Pour comprendre les lacunes, il faut savoir que le budget actuel répond à 5 des 33 demandes du Réseau FADOQ, documentées et soumises, mémoire après mémoire, au fil des ans. Des exemples? Budget après budget, les gouvernements qui défilent s’obstinent à ne rembourser qu’un appareil auditif au lieu de deux, et les crédits accordés pour les prothèses dentaires et les lunettes sont conçus pour profiter à ceux qui ont déjà de l’argent.

La liste des déficiences de couverture pour les aînés est très longue. Nous avons écrit plusieurs fois dans cette section éditoriale qu’il est urgent que le gouvernement crée un régime d’assurance pour les proches aidants qui s’inspirerait du régime québécois d’assurance parentale, lequel est en surplus. Plusieurs observateurs avaient bon espoir que le ministre Girard inclurait le vaccin contre le zona dans le programme québécois d’immunisation pour les aînés, qui sont les premiers à souffrir du zona. Mais c’était trop demander. De toute façon, 25 000 cas de zona par année, ce n’est rien pour énerver les pompiers de la Santé. Z’ont vu pire!

Parce que nous vivons avec un système de santé imaginé après la Deuxième Guerre mondiale, mis en application alors que l’espérance de vie était de 65 ans et dont les méthodes et les normes de pratique se sont figées au temps des télécopieurs, des centaines de milliers de personnes âgées souffrent en silence en attendant que le gouvernement arrive au 21e siècle.

Cela dit, ne crachons pas dans la soupe, puisque le ministre fait un pas dans la bonne direction. Espérons qu’il continuera sa marche et qu’il ne s’enfargera pas dans le fil de son télécopieur.

 

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Jean-Benoît Nadeau

Chroniqueur au Devoir et collaborateur au magazine L’actualité, Jean-Benoît Nadeau a publié plus de 1 000 reportages et chroniques, remporté deux douzaines de prix journalistiques et littéraires, signé huit livres, vécu dans trois pays, élevé deux enfants et marié une seule femme.